Mondorama
Marguerite Rothe [Rothe, Marguerite]Tout là-bas, noirs de colère, une bande de cumulo-nimbus préfigure
l'imminence d'un orage. Et tandis que l'éther poisse d'humidité, le ciel
couleur de plomb pèse de tout son poids sur l'herbage brûlé par le
soleil. Singulièrement, dans tout ce gris, accordés aux frondaisons
frissonnantes palpitent les éclats d'or et d'émeraude des hautes
graminées. En cet instant, plus rien ne voltige ni ne vrombit dans les
airs.
À environ deux ou trois kilomètres de distance, la silhouette d'un
bâtiment se loge dans son regard. Un abri potentiel ? Il l'espère, et
force l'allure, pressé de se mettre à couvert. L'espace de quelques
secondes, le froissement de l'herbe joint à l'effritement des mottes de
terre sous ses pas attire son attention. Des sons minuscules qui,
bizarrement, le connectent à un souvenir d'Éva. Il revoit son air
taquin, quand elle l'appelait « le roi d'la rando' », à cause de ses
pompes Salomon ; celles-là mêmes qui foulent cette prairie aujourd'hui.
Éva… Il ne sait pas ce qu'elle est devenue. Ni même si elle est toujours
de ce monde.